Les impacts du Coronavirus sur votre DIP
Confinement, déconfinement, … quels sont les impacts de la période Coronavirus sur l’information précontractuelle en matière de franchise ?
Comme chacun le sait (peut-être), le secteur de la franchise et des réseaux commerciaux, organisés autour de contrats de type « partenariat » comme ceux du commerce associé, des coopératives, des licences de marque, de la commission-affiliation, …) et requérant majoritairement l’usage d’une enseigne sont soumis à une obligation d’information précontractuelle dite loi Doubin qui correspond à l’application de l’article L.330-3 et du décret R.330-1 du code de commerce et suivants, renforcés par l’article L.1112-1 et suivants du Code Civil. Cette information précontractuelle figure dans un document appelé DIP (Document d’Information Précontractuelle) et couvre dans les faits toute la période préalable à la signature du contrat de partenariat (de franchise, etc…).
Dura lex, sed lex. Dure est la loi, mais c’est la loi.
Cette maxime s’applique bien évidemment en période dite « normale », et donc « bien évidemment » également dans ce cas unique qu’est la période COVID-19 que nous traversons avec ses étapes de confinement et de déconfinement.
Arrêtons-nous déjà sur ce premier point : la loi s’applique bien évidemment également dans la période actuelle. C’est pour moi une évidence. Il n’y a de mon point de vue aucun débat possible concernant une éventuelle suspension des dispositions de cette loi. Il n’y a eu aucune communication juridique en ce sens non plus, ce qui vient confirmer mon point de vue. Mais, il se pose donc quelques questions quand même quant à l’esprit de cette loi dans notre actualité.
En effet, dans un premier lieu, rappelons-nous que le législateur de l’époque (nous sommes dans les années 1989-1991) a fixé l’obligation à l’enseigne (la tête de réseau) d’informer le candidat (franchisé, licencié, associé adhérent, coopérant, partenaire, …), avant la signature de tout contrat, par « une présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché » dans le cadre du DIP.
1/ Les enseignes n’ont, jusqu’à preuve du contraire, pas prévu une telle crise dans le cadre des perspectives de développement sur lesquelles elles sont tenues de s’exprimer. Sont-elles à risque du fait de cette imprévision ?
De mon analyse d’expert en franchise et après avoir travaillé sur cette question avec des experts avocats du secteur, il est peu probable que cet argument puisse être retenu par un tribunal de commerce. Nous sommes dans un cas qui tient plus du cas de force majeure que d’autre chose, et qui est un péril dont la prédiction aurait été impossible sur au moins quatre critères : la gravité, la temporalité, la durée et l’étendue du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 d’urgence sanitaire et les suivants. Mon diagnostic est que le risque de mise en cause d’une enseigne à ce titre est donc excessivement limitée.
2/ Est-il nécessaire d’anticiper désormais la survenance de crises d’ampleur identiques dans le DIP, dans l’état local de marché (ELM) et surtout dans l’état général de marché (EGM) ?
A nouveau, je pense que non, parce que cela reviendrait à indiquer la survenance éventuelle de cas hors normes et ayant potentiellement d’aussi gros impacts. Un peu comme si la loi et sa jurisprudence nous avaient imposé jusque là de prévoir l’éventualité de cyclones dévastateurs, de crashs financiers ou d’états de guerres potentiels. Pourtant l’héritage du COVID-19 va peser sans doute possible dans l’information précontractuelle.
Il devra dorénavant être mentionné au titre de l’évènement majeur qu’il représente et au titre particulier des conséquences sur le marché visé par le contrat.
3/ Quelles informations doivent être principalement mentionnées concernant les impacts de la période ?
Il va devenir impératif de faire figurer dans les analyses de marché, dans l’EGM, et dans la présentation générale de l’entreprise et de son marché à l’intérieur du DIP, les impacts de la situation d’urgence sanitaire sur l’économie en général, mais surtout sur le secteur d’activités en particulier dans lequel exercent l’enseigne et le futur franchisé partenaire.
Les impacts économiques sont spécifiques à chaque filière. L’agilité économique dans laquelle se trouvait le secteur avant le 17 Mars 2020 et dans laquelle il se trouve après le 11 Mai 2020 devront y figurer.
Les jours défilent et apportent avec eux leur lot d’annonces d’entreprises et de réseaux rentrant en procédures collectives (placement en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, mandants ad hoc, …) ou d’annonces d’imminence d’entrées en cessation de paiement, de tentatives de rapprochement avec un groupe plus solide financièrement, de changements d’actionnariat ou de gouvernance. Il me paraît souhaitable de faire figurer ces épisodes dans le DIP et l’EGM, en évaluant si elles ont nécessairement un caractère négatif pour le secteur ou alors si, finalement, ces annonces malheureuses sont une opportunité pour les réseaux concurrents, et surtout pour le réseau concerné par le contrat. Ne nous offusquons pas de cela. En matière de commerce, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
4/ Dans son DIP, la tête de réseau doit-elle mentionner spécifiquement comment elle a financièrement et commercialement traversé les deux périodes qu’est celle du confinement et celle du déconfinement, ainsi que les opérations et moyens qu’elle a mises en œuvre pour soutenir le réseau ?
A première vue, on pourrait dire qu’il n’est pas nécessaire d’aller jusque-là, puisque ces aspects ne relèvent pas strictement d’un caractère obligatoire. Pourtant, il est possible d’imaginer non seulement qu’un candidat à la franchise pourrait apprécier favorablement les actions de la tête de réseau envers ses partenaires, mais également que l’importance et la pertinence des mesures prises lui permettent d’envisager des perspectives de développement heureuses dans le contexte de forte incertitude sur l’avenir.
Autant la présence des ces informations peut paraître banale, voire même un peu trop « commerciale », autant leur absence peut se révéler à mon sens potentiellement contraire à l’obligation d’information (ou au moins à la transparence d’information à avoir avec son candidat). Je pense que s’il n’est pas donné au candidat la possibilité de connaître et donc de pouvoir comparer les actes de son enseigne à ceux des concurrents pendant cette période particulière, il pourrait être évoqué que l’enseigne a pu souhaiter lui cacher des informations de nature à influer fortement sur sa décision, et à avoir, par conséquent, vicié sa décision.
Gardez toujours à l’esprit que la réforme récente du Code Civil en vigueur depuis le 1er octobre 2016 a introduit en matière d’information précontractuelle des obligations d’information réciproques d’un des cocontractants par l’autre : « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant… Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. »
Il y a dans cet article L1112-1 du Code Civil matière à décider qu’il est nécessaire dans le cadre du DIP d’informer sur l’avant-pendant-après du marché concerné en général et sur l’enseigne en particulier également.
5/ Peut-on envisager qu’en cas de contentieux entre l’enseigne et son partenaire, voire d’une assignation, les décisions du tribunal seraient influencées par la période à laquelle le contrat a été signé ou le DIP délivré ?
Assurément oui ! Et la période de délivrance du DIP aura beaucoup d’importance dans la force de la décision rendue.
3 périodes sont à distinguer.
a. Le DIP a été signé bien avant la survenance de l’état d’urgence sanitaire (décret du 23 mars 2020), comme par exemple avant la fin de l’année 2019.
Dans ce cas, je pense raisonnablement qu’il ne peut pas être fait reproche à l’enseigne de ne pas avoir évoqué l’éventualité d’une telle situation. Comme il est légitime de penser par ailleurs qu’un candidat aurait pu ne pas souhaiter signer son contrat de partenariat, de franchise, de licence de marque, de commission-affiliation, d’adhésion à une centrale, etc… s’il avait eu connaissance de l’ampleur des impacts du confinement. Cette situation a d’ailleurs été au cœur des débats sur la notion générale d’annulation des contrats signés, au titre du caractère unique et imprévisible de la situation économique.
b. Le DIP a été signé pendant la survenance de l’état d’urgence sanitaire (décrets du 23 mars 2020 et suivants), comme par exemple en Avril 2020.
A l’évidence, un candidat partenaire aura de grandes difficultés à faire valoir sa méconnaissance de la situation tellement elle est de notoriété publique. Rappelons-nous l’allocution du Président de la République Française et son audience record depuis la création de la télévision. Pour autant, l’enseigne ne pourra pas se soustraire à l’obligation d’informer sur l’existence de la période de confinement et sur l’état d’urgence sanitaire. Rappelons aussi ici que tous les contrats ne sont pas signés avec des ressortissants français et même si le « lockdown » de l’économie s’est faite au niveau mondial, il n’en demeure pas moins que toutes les économies n’ont pas réagi de la même manière et que, là encore, l’obligation d’information demeure.
c. Le DIP a été signé après le déconfinement, mais encore pendant la période de l’état d’urgence sanitaire, comme par exemple mi-Mai 2020, voire même une fois l’abrogation du décret d’urgence sanitaire, par exemple à mi-Juillet 2020 comme il est fixé actuellement par le dernier décret publié.
Il n’y a pour moi aucun doute possible sur le fait que les tribunaux qui auront à prendre des décisions, dans le cas d’assignations sur le manquement à l’information précontractuelle, s’assureront que celui qui en a l’obligation – donc la tête de réseau – aura pris soin de mettre en lumière, dans ses documents d’informations précontractuels, les actions prises par ses soins et le marché, ainsi que les conséquences actuelles mesurées. Dans ce cas, plus que tout autre, l’expression de perspectives de développement adaptées à la situation, me paraît incontournable.
Franchiseurs, vos préoccupations sont très certainement plus tournées vers votre marché, votre business, vos équipes, vos franchisés et le « redémarrage », mais ne reportez pas à plus tard la gestion de ces aspects de votre information précontractuelle dans un contexte où la seule certitude reste l’incertitude.
Plus que jamais, l’un de mes adages favoris prend toute sa valeur : ne négligez pas votre étude de marché, sinon c’est votre marché qui vous négligera !
Comment nous pouvons vous aider ?
Franchise Management et son réseau de partenaires pourra vous aider à évaluer vos risques et vos opportunités avant de vous engager dans ce mode de développement qui nécessite une vision moyen terme et long terme de la gestion de votre Réseau.