O. Mignot (Franchise Management) : « La franchise offre à un réseau succursaliste de se recentrer sur son savoir-faire, en identifiant ses gênes »
23.12.2009, François Simoneschi
La franchise est une vraie stratégie performante en complément du succursalisme en France ou à l’international à la condition d’en respecter les règles. Rencontre avec Olivier Mignot, consultant Franchise Management (1), et ancien Directeur Commercial France et Directeur franchise international chez Décathlon.
Succursalistes : pourquoi choisir la franchise ?
Dans la grande distribution, le premier mouvement de développement en franchise s’est réalisé de manière « subie ». « Les réseaux succursalistes intégraient des entrepreneurs indépendants par des opérations de rachats, ou la reprise de points de vente existants, en raison des contraintes de la loi Royer. Le secteur de l’habillement a montré l’exemple en pénétrant des marchés identifiés par un mode de développement choisi. La franchise peut aujourd’hui permettre à des réseaux succursalistes de la grande distribution spécialisée de conquérir des nouveaux territoires à savoir les petites villes et surtout de nouveaux pays. », explique Olivier Mignot, consultant Franchise Management.
Les nouveaux territoires : Guadeloupe, Corse, Chine, Moyen-Orient…
Certains territoires où il y a pourtant beaucoup de demandes, peu de concurrence et des taxes faibles, sont peu accessibles au développement en propre, pour plusieurs raisons :
– la législation, comme au Maroc ou au Moyen-Orient par exemple où la majorité du capital d’une entreprise doit être détenue par un partenaire local.
– un risque élevé, comme en Russie ou au Liban…
– un territoire trop réduit pour financer une structure autonome, comme en Guadeloupe ou en Martinique ; cinq magasins sont en général nécessaires pour amortir un tel investissement.
« Si un réseau succursaliste veut s’installer en Guadeloupe, seule une société tierce implantée localement sera capable d’estimer à sa juste valeur le coût d’exploitation sur le terrain et de mettre en place la logistique et les services centraux correspondants, tout en amortissant les charges de cet investissement en mutualisant sur un portefeuille de marques. Par exemple, une grande partie de la marge est conditionnée par la capacité à remplir un container, ce véritable savoir-faire appartenant majoritairement à des opérateurs locaux. », souligne Olivier Mignot.
Adaptation culturelle ou géographique à prévoir
Dans ces territoires à conquérir, certains codes culturels ou géographiques sont complètement remis en question. « Dans ces pays chauds, les emplacements numéro 1 sont à l’ombre et non côté soleil. Les parkings sont souterrains et donc invisibles, contrairement à nos contrées. Culturellement, au Moyen-Orient, on utilise très peu les transports en commun, mais les taxis. D’où la création d’une borne d’accueil pour les taxis. Dans certains pays du Golfe, hommes et femmes ne se mélangent pas au sein du point de vente. La non intégration de ces paramètres peut remettre en question la viabilité du projet. », rappelle Olivier Mignot.
La franchise revalorise le réseau succursaliste
Pour un réseau, les risques liés au poids du stock et à la gestion de l’humain sont portés par le franchisé. Au-delà de cette rentabilité des actifs plus importante, « la franchise offre à un réseau développé en propre de se recentrer sur son savoir-faire, en identifiant ses gênes. Cette pratique du partage des connaissances distingue plus facilement le superflu de l’essentiel, joue un rôle de filtre sur les expertises du réseau. Ainsi, les redevances des points de vente sont par exemple différemment calibrées. De nouvelles connaissances, comme l’intégration du coût du transport directement dans le prix du produit, améliorent le fonctionnement des magasins. Au final, le savoir-faire est enrichi, et l’entreprise succursaliste, revalorisée, ce qui rend les experts en fiscalité et les actionnaires heureux », affirme Olivier Mignot.
La franchise : un équilibre pour le réseau
Si tout réseau succursaliste a stratégiquement besoin d’étendre son territoire, il bénéfice d’une forme d’équilibre grâce à la franchise. « En temps de crise, seuls les leaders survivent. Et pour être leader, il faut être présent à l’international et multiplier ses points de contacts avec les clients. De plus, la crise ne frappe jamais uniformément tous les continents. D’autre part, le risque climatique impacte de plus en plus la consommation. Les stocks sont souvent achetés un an à l’avance et les soldes à -50% ou -60% portent atteinte à l’image d’une marque. Si l’été a été médiocre en Europe, la marchandise peut être envoyée au Moyen-Orient, dans les DOM …où c’est l’été quand c’est l’hiver en Europe. Avec ce phénomène de saison inversée, on peut tester une collection d’été sur un continent et apporter une correction aux gammes pour les autres pays. Le franchisé bénéficie des nouveautés en avant première et le réseau intégré a 6 mois de visibilité sur les ventes pour ajuster ses commandes : du gagnant/gagnant ! », confirme Olivier Mignot.
Foncier, stock, approvisionnement : quel coût en franchise ?
Dans cet investissement en franchise le plus lourd, c’est le foncier. « Dans les Dom-Tom, un bâtiment coûte en moyenne 25% plus cher à réaliser qu’en France, en raison des risques sismiques et cycloniques. Le stock est d’autant plus élevé que la source d’approvisionnement est éloignée. Quant aux besoins en trésorerie, ils doivent pouvoir couvrir un délai souvent supérieur à 70 jours – dont 30 jours de transport en bateau – pour l’approvisionnement, comme c’est le cas pour la Réunion. En moyenne, l’investissement est plus important de 20% par rapport à un magasin en métropole. Attention : ces spécificités doivent être intégrées dans le modèle économique pour que le contrat soit équilibré. Le franchiseur doit toujours se poser la question des raisons qui pousseront le franchisé à renouveler son contrat », rappelle Olivier Mignot.
Le manque d’autonomie et les erreurs de formation se paient cash
En outre, tous les concepts ne sont pas « franchisables » dans tous les pays. « Il est impératif de ne pas remettre en question les gènes ou code ADN du concept lors de sa transposition. Il faut également anticiper les problématiques opérationnelles comme la législation maritime – différente des transports terrestres – pour la logistique et anticiper le lieu d’arbitrage des conflits. Dans la transmission du savoir-faire, ce qui se corrige très vite en France peut coûter très cher à 10.000 kilomètres de sa base. Le manque d’autonomie et les erreurs de formation se paient cash. », ajoute Olivier Mignot.
Recrutement de franchisés
Dès qu’une enseigne nationale ou internationale annonce son intention de s’implanter dans les Dom-Tom ou au Moyen-Orient, elle est immédiatement contactée par les quelques opérateurs locaux de la zone. « Pour l’enseigne, il sera alors déterminant de sélectionner l’opérateur capable de respecter son savoir-faire, de maîtriser la logistique correspondante, de disposer des sites commerciaux adéquats ou des bons potentiels de développement. », recommande Olivier Mignot, fort de son expérience chez Décathlon.
Pilote et vague de fond
Entre 2003 et 2008, Olivier Mignot a dirigé le développement en franchise de cette enseigne. Il précise : « Nous avions créé un site pilote dans le sud de la France sur une ville de 14.000 habitants. Ce qui nous a permis d’accompagner la création de deux points de vente en franchise à la Réunion, 1 en Guadeloupe, 1 en Martinique et 2 à Dubaï. Leroy-Merlin a ouvert en franchise dans les Dom-Tom et en Corse. Ce développement en franchise des grandes enseignes succursalistes de distribution spécialisée est une vague de fond, dont nous ne sommes qu’au commencement. La franchise est un excellent moyen de développement sécurisé à la condition d’une part de disposer des outils spécifiques du métier de franchiseur, d’autre part de savoir les utiliser et enfin de les adapter à l’environnement local : un vrai métier à part entière qu’il faut donc acquérir avant de se lancer. »
1 Franchise Management est un cabinet de conseil expert dans la création et l’optimisation des réseaux de franchise. Il dispose de plus de 38 années d’expérience et a accompagné plus de 110 enseignes à ce jour